Les agents mettent en œuvre des programmes d’action, aident à la décision, animent et facilitent les dynamiques multi-acteurs en charge de la mobilisation de la société civile. Afin d’accélérer les transitions, leur rôle d’animation de coopération devient central : le temps et les méthodes que cela nécessite sont au cœur des problématiques qu’ils rencontrent et gagneraient à être davantage reconnus.
Cette page est intégralement issue du rapport Les 4 Fantastiques des territoires en transition produit par la Fabrique des Transitions.
Enjeux
Au sein des organisations et sur le territoire, de nombreux agents ont des « missions transversales » et sont chargés d’animer des démarches impliquant de multiples acteurs et ce de plus en plus, pour répondre aux enjeux de transition. Mais les agents sont rarement outillés (méthodes, outils, savoir-faire) pour l’animation de la coopération et le portage de l’approche systémique. Dans le quotidien, les agents « bricolent » mais ne se sentent pas assez formés. Il paraît indispensable de reconnaître le rôle d’animation de la coopération dans les missions des agents, ainsi que le temps et les méthodes que cela nécessite.
Sur certains aspects « techniques » liés à l’animation d’un projet de transition, les agents notent l’intérêt de se former et d’acquérir ou de conforter « de nouvelles compétences », comme par exemple l’évaluation, la mise en récits, l’animation d’espaces réflexifs, l’innovation dans la concertation, etc.
Il y a souvent des décalages entre d’une part le temps nécessaire à la mobilisation des acteurs, à la coopération entre échelles et le temps dont ils disposent et d’autre part, le temps contraint pour réaliser les actions. Il peut également y avoir des contradictions entre, d’une part, les discours et les orientations sur l’importance de la concertation et d’autre part, le temps et les moyens pour la mettre en place. Les tensions portent également sur le manque d’outils pour articuler la réalisation des programmes d’action et l’absence de vision stratégique à moyen et long terme.
Le manque de portage politique et stratégique des élus complique le rôle de l’agent au quotidien. Le positionnement du rôle d’agent peut rester flou. Qu’est-ce qui est à sa charge ? Quelles sont ses marges de manœuvre ? Comment porter au mieux la transition quand la vision politique n’est pas claire ? Quelle vision partagée de la transition ? Quand les élus ont une forte volonté politique de porter la transition, l’enjeu est de savoir comment rendre opérationnelle cette volonté, tout en prenant en compte les injonctions à agir vite des autres acteurs. Dans le cas où cette volonté n’existe pas, l’enjeu consiste à créer les conditions de son apparition, progressivement.
La question de la transition écologique est un sujet « trés politisé », qui fait souvent l’objet de clivages, de polémiques. Les agents sont attendus pour l’essentiel sur une expertise technique alors qu’il semble indispensable d’agir sur les représentations, les visions de la transition pour faciliter une appropriation plus large. Sans jouer le rôle des élus, il s’agit donc de participer à l’aménagement du sens politique, au service des élus qui le portent. Faire état de ses enjeux de travail – par exemple quand il faut développer une politique drastique de réduction des déchets – n’est pas qu’un enjeu technique mais conditionne la faisabilité politique. Les élus doivent donc être à l’écoute de ces enjeux.
Il existe de nombreuses incitations financières mais, par où commencer ? La question de la priorisation est récurrente. Elle est difficile à appréhender dans cette période de profusion d’appels à projets et de contraintes sanitaires réglementaires. Le risque est celui de l’éparpillement et de la perte d’énergie dus à une recrudescence d’opportunités et de projets.
Chez les agents, on retrouve une tension constante entre l’organisation en silos (nécessaire à la bonne coordination) et une réelle coopération (des espaces dédiés, transversaux). Il en ressort le besoin que les collectivités soient plus agiles, sortent des clous hiérarchiques et instaurent des espaces pour prendre du recul.
Pouvoirs
Certaines collectivités expérimentent des organisations qui facilitent la transversalité, des approches plus systémique des enjeux ou un travail plus régulier entre certains élus et certains agents avec par exemple, la création d’un pôle structuré autour de grands objectifs tels que « transition et aménagement durable » regroupant plusieurs élus et services.
Les agents soulignent la nécessité de développer un portage plus large que celui uniquement de la collectivité. Pour favoriser la mobilisation, certaines collectivités organisent des commissions « ouvertes » , voire un co-pilotage de groupes de travail avec des acteurs du territoire.
Les dispositifs permettant de favoriser un « engagement » des agents sur la base du volontariat se créent de plus en plus : groupe de travail interne sur les éco-gestes, référent développement durable par direction, etc. Le réflexe d’aller chercher les agents les plus engagés pour monter des projets se développe également.
La transition est souvent difficile à aborder, que ce soit avec des élus ou avec la population. Des dynamiques peuvent être amorcées à partir d’un projet « emblématique » et progressivement, amener à développer des projets communs par diverses actions complémentaires et de mises en lien ou, à aborder de manière plus globale les enjeux de transitions. Pour ce faire, certaines collectivités participent à des voyages apprenants via des binômes agent-élu pour qu’ils renforcent les liens et la confiance entre eux et améliorent leurs relations de travail.
Les acteurs de la société civile portent de nombreuses initiatives en matière de transition. Il est important pour la collectivité de les identifier et de les reconnaître, comme par exemple par des états des lieux des projets du territoire, des forum des initiatives, ou des partenariats public-privé. L’organisation d’un événement spécifique peut avoir un effet d’accélération des projets et coopérations.
Certains territoires se dotent de modalités de fonctionnement favorisant l’implication des acteurs, la dynamique de projet et de coopération. Par exemple, dans le cadre d’un PCAET en début d’année, il y a la possibilité d’intégrer de nouveaux partenaires.
Attentes
Comment accompagner le changement de pratiques, de postures et d’imaginaires ? Ces évolutions de comportements restent la pierre angulaire de la transition. Pourtant, les agents sont très peu outillés et soulignent qu’au-delà de compétences techniques, ce sont bien des postures, des manières d’être et d’agir ensemble qui sont à transformer.
Comment faire comprendre que la coopération n’est pas accessoire, à la marge, mais bien l’une des conditions sine qua non de la réussite des projets de transitions qui, sans elle, n’en sont jamais réellement ? La coopération est souvent vécue comme un « temps supplémentaire » qui s’ajoute aux comités de directions et autres réunions déjà trop nombreuses. Au détriment de l’idée que, si la coopération prend du temps au départ, elle en fait finalement gagner à la longue, que ce soit du point de vue de la pertinence, de l’efficacité ou de la mise en mouvement. Il ne s’agit pas tant d’ajouter de nouvelles réunions que de transformer l’animation et l’organisation des réunions existantes !
Les agents manquent de dispositifs « réflexifs » qui sont l’occasion de revenir sur les échecs, les réussites et les apprentissages réalisés. Ces temps réflexifs ne s’ajoutent pas forcément à l’agenda mais peuvent être pris au sein des réunions existantes. Prendre le temps d’évaluer ce qui a été fait, d’apprendre des erreurs et d’éviter de mettre des tensions sous le tapis (au risque qu’elles n’en ressortent que plus fortes après) permet d’améliorer fortement la coopération et de faciliter le portage des projets sur le long terme.
On ne met pas la même chose dernière le mot « transition » si l’on est un élu ou un agent. Les participants rappellent qu’il y a rarement un discours partagé entre agents et élus sur leur vision de la transition. Sans vision partagée, il est difficile d’arbitrer, de se projeter et de rester motivé et engagé dans la durée.
Il est rappelé la difficulté d’être à la hauteur des enjeux et la nécessité de dépasser « la politique des petits pas » pour mettre en place des stratégies de long terme. Clarifier cette vision semble prioritaire ! Une vision qui doit également être partagée avec l’ensemble des élus – pas uniquement quelques uns qui portent seuls la dynamique.
Le rôle des élus n’est pas de rentrer dans le technique mais bien d’organiser, avec les autres, un cap commun. Les élus doivent cependant connaître et comprendre le travail technique (le travail réel, ses implications, ses freins…) car il a des répercussions éminemment politiques : tenir un engagement de mandat nécessite de comprendre les modalités techniques pour y parvenir et cela requiert un effort additionnel de la part des élus. Uniquement dessiner un cap ne suffit plus.
Le rôle de l’État est perçu comme étant à mi-chemin entre le réglementaire et l’animation. Cela peut porter à confusion ses interlocuteurs qui ont des difficultés à savoir quelle est la casquette de l’agent de l’État qu’ils ont face à eux. D’autant plus que cette casquette change en fonction des sujets ou de la temporalité d’un projet. À ceci s’ajoutent des relations avec les services de l’État inégales : si ce sont le plus souvent de « bonnes relations » (avec les DDT, DRAAF sur des projets précis), elle ne sont pas forcément constructives ni pérennes dans le temps. Il s’agit de créer des relations de confiance sur le long terme, en assurant une meilleure stabilité et pérennité des interlocuteurs.
Les agents en appellent à une mise en cohérence des différentes politiques territoriales : il existe un millefeuille de dispositifs portés par l’État qui se superposent parfois sans cohérence ni articulation. Pourquoi ne pas plutôt prendre une thématique locale et, à partir d’elle, travailler en commun sur les réalités du territoire et des acteurs locaux ? Il faudrait que les dispositifs successifs « respectent » les coopérations en cours et la trajectoire du territoire pour s’adapter en fonction de cet historique. Mais c’est un effort additionnel que l’État, en sous effectif, peine à prendre en charge.
Faire évoluer progressivement la manière dont les acteurs perçoivent les collectivités pour les considérer davantage comme de véritables partenaires est l’une des nécessités soulignées. Les collectivités pourraient ainsi jouer un rôle dans la sensibilisation des citoyens et être porteuses d’innovation. Aujourd’hui, ce rapport subvention-financeur avec la collectivité est à repenser. Les agents en appellent à un changement de méthode, notamment pour les très nombreux appels à projet (AAP). D’un côté, la collectivité pourrait se positionner en soutien logistique des projets et de l’autre, la société civile ou les entreprises doivent pouvoir venir challenger la collectivité sur les innovations.
Ce sont « toujours les mêmes » qui sont mobilisés : le constat sur la difficulté à diversifier les publics touchés et sur la tendance à toujours retrouver un même type de profil dans les réunions par exemple est unanimement partagé. L’enjeu est d’arriver à mobiliser d’autres publics que ceux déjà sensibilisés. Il s’agirait donc de repenser, en parallèle, les modalités de co-construction et/ou de co-gestion des projets avec les citoyens. Le mode de collaboration « dominant » serait alors une impulsion de la collectivité avec l’objectif ensuite d’une gestion en autonomie des porteurs de projets. Les cas de co-gestion semblent en effet plus rares (comme les SCIC) et peuvent poser la question du suivi dans la durée.